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Créquy

Les origines de Créquy
Elles se perdent peut-être dans la nuit des temps, mais bien avant que le nom fut donné au lieu lui-même, des hommes avaient déjà foulé son sol, comme le révèle l'archéologie. Pas de découvertes sûres datant du lointain passé paléolithique. Par contre, Créquy fut peuplé par les agriculteurs à l'époque néolithique, peut-être vers le troisième millénaire avant l'ère chrétienne. De nombreux vestiges de cette période ont été retrouvés, en plusieurs endroits du territoire communal, sous forme d'outils en silex, grattoirs, racloirs, pointes, lames et quelques haches en pierre polie, dont une assez belle découverte en 1967, au Bois Habart. Des prospections assez poussées ont montré que les plateaux de la Plaine du Moulin (entre le bois de sains, les Maisonnettes et la Vallée) et du Beaussart avaient été occupés très anciennement, sans doute mis en culture. Pas de sites d'habitat certains, mais cela peut encore se découvrir par la suite.
Ces premières occupations étaient peut-être sporadiques et l'on ne retrouve par la suite une occupation certaine qu'à l'époque romaine, quoique certains indices, découverts sur les photographies aériennes, laissent à penser que le bois de Créquy portait des traces d'occupation à l'âge des Métaux, mais ce n'est pas prouvé.
A l'époque romaine, le territoire créquinois fait partie de la cité des morins, et un siècle après la conquête, il est enfin mis en valeur. L'on observe une implantation de l'habitat en ordre dispersé, comme c'est la règle à l'époque. Trois établissements gallo-romains ont été à ce jour découverts. Il peut y en avoir d'autres. Ils se caractérisent par la présence de fragments de grosses tuiles, rondes (imbrix) ou plates (tegula), d'éléments de poterie sigillé ou commune. Le premier établissement découvert se situe au centre du village. Une pièce de monnaie qui date du milieu du IIIe siècle, à l'effigie de Gordien III et sans doute un cimetière à incinération découvert vers 1920, lors de l'exploitation d'une briqueterie. Ailleurs, il faut signaler les sites du Bois Habart et des communes. Il n'est pas impossible que certaines lignes essentielles du terroir créquinois, comme l'antique chemin de Boulogne (chemin du moulin Boudry), la carrière de Fauquembergues, le chemin de Lebiez à Fruges et quelques autres datent de cette période et témoignent d'une première division du sol entre divers domaines agricoles.
Cette implantation antique disparaît lors des grandes crises qui secouent la Gaule au milieu du IIIe siècle. Les Barbares, qui envahissent alors l'Empire Romain dévastent la plupart des établissements agricoles, dont les occupants s'enfuient, abandonnant parfois enfouis, leurs trésors, comme ce fut le cas au Bois Habart.
Peu après, au IVe siècle, les structures agraires se reconstituent. L'habitat se concentre. La vie rurale s'organise au sein de grands domaines qui ont donné le nom aux villages actuels. C'est le cas de la plupart des villages en -y ou en -ecques de notre Haut Pays qui viennent d'anciens noms de domaine en -acum. Créquy peut donc être un antique Crixiacum qui a été particulièrement productif dans la toponymie française et qui abouti aux divers Crécy, Cressy, Crécques, Cressey, Cressat, suivant les régions. Que signifie ce toponyme? Tout simplement le domaine de "Crixos", Crixos étant un nom de personnage d'origine gauloise signifiant le "Frisé". Ce Crixos fut sans doute l'un des premiers propriétaires de Créquy.
Comment se représenter le domaine originel de Créquy, tel qu'il devait apparaître du IVe siècle à l'époque carolingienne ? Il faut dire que, outre les indices toponymiques (études des noms de lieux), nous ne possédons aucune information d'ordre archéologique ou documentaire. La découverte d'un cimetière mérovingien est tout à fait possible. Cependant, l'étude des noms de lieux-dits permet de reconstituer le paysage initial de Créquy, situation qui nous apparaît probable pour l'époque du Bas-Empire et l'époque mérovingienne, que l'on reconnaît comme étant une période de dépression économique et démographique où l'homme, misérable, assujetti à une riche aristocratie, peine à lutter contre une nature qui reprend ses droits après l'exploitation, peut-être trop intensive du sol, durant de nombreux siècles de l'époque gallo-romaine. C'est en effet la forêt qui constitue l'élément essentiel du paysage créquinois. Elle subsiste encore dans le massif actuel des bois de Créquy et des trois treillages avec ses 550 hectares. Il faut ajouter aux massifs existant encore actuellement, les anciens bois Mulet, du Troncquoy, Habart, et des Granges qui ne furent défrichés qu'aux XVIIIe et XIXe siècles, mais aussi tout ce qui fut gagné à la culture lors des beaux siècles du Moyen âge comme le Beaussart, le Terrage, peut-être le Florembeau, le Charbon, etc. Les bosquets actuels du Bocquetiaux, du Cariamur, des Riots s'étendaient autrefois bien plus largement comme le rappellent le Bois Flayel, le Chêne Bouleau, le Charbon, le Chemin des Frêniaux, tout comme le Bois de Sains (Buisson Failli, le Bois défriché), et le bois des Trois Treillages (la Haie Graux, Les Coréettes, le bois de coudriers?)
Le premier Créquy se présentait donc comme une clairière aux contours imprécis entourée d'un vaste halo de bois, et le sylve, landes plus ou moins buissonne uses. Au sein même de cette clairière de vastes parcelles boisées subsistaient, sur des pentes trop abruptes ou dans des secteurs trop ravinés. Les terres cultivables étaient trop réduites au versant doux de la vallée de la Créquoise, peut-être à quelques secteurs du plateau vers coupelle, et vers le Bois de Sains. Quant à l'implantation de l'habitat, nous ne savons trop où le situer, probablement sous l'habitat actuel. Toute découverte de tessons de poterie, aussi modeste soit-elle, serait donc la bien venue, à condition quelle soit bien localisée et nous serions très heureux si les lecteurs de ce journal voulaient bien nous en avertir.
De ces siècles des origines dont nous ne savons pas grand choses, une autre hypothèse: Les Créquinois furent peut-être gagnés assez tôt au christianisme, vers les VIIe ou VIIIe siècles, comme le révèle la dédicace de l'église, à Saint Pierre, qui est considérée assez souvent comme relativement ancienne.


Premier apogée de Créquy : autour du château fort (XI - XIVe siècles)
Si le premier Créquy nous reste à découvrir, par contre, nous sommes sur un terrain plus ferme quand nous abordons les beaux siècles du Moyen âge; Cette période qui va du Xe au XIIIe siècle et qui se caractérise par un grand développement économique, la renaissance urbaine, la construction des cathédrales et l'apogée de la société féodale. Pendant ces siècles, la masse des Créquinois reste anonyme, par contre, leurs maîtres, les seigneurs de Créquy figurent déjà parmi les familles les plus prestigieuses de la région. La masse des Créquinois reste anonyme certes, dans la mesure où nous ne connaissons pour cette époque aucun nom de paysan, mais nous pouvons cependant deviner son oeuvre à travers quelques éléments de la toponymie. Tout d'abord l'on peut souligner que le peuple créquinois à tendance à s'accroître, comme le révèle l'implantation de quelques hameaux : le Préhédré qui était peut-être à l'origine le "Pré d'Hilderich", bâti autour d'une exploitation agricole qui peut dater du XIe ou XIIe siècles; le lointain hameau de Maisoncelle, modeste habitat de défricheurs le long de la forêt, venus peut-être du boulonnais si l'on s'en réfère aux traditions linguistiques locales qui font que le parler des gens du Maisoncelle est assez différent de celui des Créquinois et se rapproche davantage du patois du Haut Boulonnais.
Ces paysans créquinois du Moyen âge féodal sont d'ardents défricheurs, des "essarteurs" qui agrandissent la clairière culturale originelle, défrichent de façon intensive les plateaux (le Beaussart, le Florembeau, la Campagne) font reculer partout la forêt jusqu'aux limites du territoire créquinois. Une étude attentive du parcellaire nous apprend comment se sont effectués ces défrichements. Il faut imaginer (cas du Beaussart) deux phases importantes : une première époque où le défrichement se fit de façon plus ou moins sauvage et qui donne un dessin parcellaire assez irrégulier. Une deuxième phase au XIIIe siècle où le défrichement se fait de manière plus organisée, ce qui donne un dessin parcellaire régulier. Ces défrichements de la deuxième période se sont sans doute effectués sous directives seigneuriales et fourniront les terres à terrage par la suite, le terrage étant une partie de la production agricole perçue au profit du seigneur.
L'on ne peut - outre ce trait essentiel de l'agriculture - deviner quelles furent les autres activités économiques des créquinois du Moyen âge. La présence qui reste importante d'espaces boisés a-t-elle déjà favorisé l'existence d'un artisanat de la boissellerie ? Sans doute, l'artisanat essentiel en milieu forestier était-elle la production de charbon de bois rappelé par la toponymie, les lunules encore visibles dans le sol créquinois, un chemin des Charbonniers qui peut-être une indication sur la destination du charbon créquinois vers la châtellenie de Saint-Omer et la ville de Thérouanne. De même, le chemin des Poissonniers ou de chasse-marée qui court d'ouest en est le terroir créquinois de la carrière Pro au Bois des Granges indique peut-être une direction importante du commerce médiéval. Mais ce ne sont là qu'hypothèses.
La société créquinoise était dominée, l'avons-nous dit par ce que l'on peut appeler la société féodale représentée ici par la famille qui porte le nom de Créquy et ses vassaux.
Faisons d'abord le tour des légendes qui courent dans les généalogies plus ou moins officielles et qui font remonter les Créquy à un hypothétique Arnoul le Barbu qui vivait au temps de Louis le Pieux. Il s'agit là d'inventions du Bas Moyen âge qui se voulaient concrétiser les origines illustres - ça ce n'est pas impossible - de la famille seigneuriale. Il y a un décalage entre les généalogies anciennes et les textes du moins jusqu'à la fin du XIIe siècle. Assez curieusement même, le fameux Gérard de Créquy qui aurait participé à la première croisade et même Raoul de Créquy, le héros de la romance, n'apparaissent pas dans la documentation du XIIe siècle.
Et cependant, les Créquy, au XIIe siècle, apparaissent déjà comme un lignage assez puissant, assez nombreux, proches alliés - il s'agit probablement de la même famille - aux Collet de Beaurainville, lignage qui domine donc les vallées de la Planquette et de la Créquoise, étendant peut-êtreson emprise jusqu'à Contes - les seigneurs de Contes sont des Créquy, jusqu'à l'Authie, lignage important pris entre le comté de Ponthieu et le comté de Saint-Pol. Lignage qui aura donc de très sérieux problèmes dès le premier tiers du XIIe siècle avec des voisins turbulents qui voudront amoindrir sa puissance. Lignage qu'il faudra très souvent mettre au pas, comme ce fut le cas vers 1150 quand des membres de la famille de Créquy doivent être "terrorisés" par le puissant comte de Flandre pour abandonner toute velléité offensive contre l'abbaye de Dommartin. Une belle famille donc, bien de son temps, famille turbulente, mais aussi généreuse et pieuse. On lui doit la fondation de quelques établissements religieux et vers 1100, un certain Ramelin de Créquy fonde l'abbaye de Ruisseauville qui sera rattaché bientôt - en 1127 - à l'ordre des Augustins d'Arrouaise.
A la fin du XIIe siècle, l'on voit apparaître le premier membre de la famille de Créquy qui porte enfin le titre de seigneur. Il s'agit de Baudouin de Créquy, homme illustre s'il en est, allié à l'une des plus puissantes familles du Nord de la France, celle des châtelains de Saint-Omer, ce qui donnera à ses descendants une belle, ascendance - comtes de Hainaut, de Flandre, Carolingiens - qui explique peut-être les tentatives ultérieures de rattacher les Créquy à la légende flamande et hennuyère. Baudouin est certes un seigneur avec lequel il faut compter. Mais déjà, on aperçoit les limites de sa puissance quand il est plus ou moins maté par le comte de Saint Pol, qui organise alors son comté et rattache de fait cette importante seigneurie à sa juridiction et par le roi de France après Bouvines. Son fils Baudouin figure parmi les pairs du château de Saint-Pol en 1232 ce qui indique qu'il est bien intégré désormais dans la hiérarchie féodale. Les successeurs de Baudouin, Philippe de Créquy mort avant 1256, Baudouin III (1255-1281 ?). La série des Jean (de Jean Ier à Jean III) jusqu'en 1281, seront de loyaux vassaux des comtes de Saint-Pol et du roi de France et participeront à toutes les luttes qui marquent cette époque à la tête d'une petite troupe de chevaliers et d'écuyers - une vingtaine de vassaux en moyenne à travers les différents rôles de troupes du XIVe siècle.
Il faut dire que le milieu du XIIIe siècle marque le début d'une longue période de décadence pour la fortune foncière des seigneurs de Créquy. Le lignage, en tant qu'institution perd de sa puissance. Les Collet, les Contes vont désormais mener une existence autonome, l'origine commune étant rappelée par le même blason le créquier, cet espèce d'arbre à sept branches qui pousse communément sur les rives de la Créquoise. Mais déjà on démembre la seigneurie au profit de cadets de la famille. Torcy et Royon disparaissent ainsi du patrimoine initial avant le milieu du XIIIe siècle, ce sera bientôt le tour de Sains, de Wambercourt, de Planques, d'Avondance dans la deuxième moitié du siècle, peut-être même du Préhédré. Dans le secteur proche, la branche aînée ne dispose plus que des seigneuries de Créquy et de Fressin, à peine compensées par de bons mariages. Au XIVe siècle, la politique matrimoniale des Créquy leur procure cependant des biens en Picardie (seigneurie de Canaples). Cela se traduit par des difficultés financières. Les seigneurs de Créquy peinent à régler les dots de leurs filles et cela suscite des procès devant le Parlement de Paris. L'entente ne règne d'ailleurs pas entre les membres de la famille et une querelle navrante oppose les membres de la branche aînée à la branche cadette des Rimboval vers 1384, suite à l'assassinat d'un conseiller du seigneur Jean de Créquy. Les problèmes relatifs à la famille de Créquy, assez bien connus par des textes nombreux, illustrent parfaitement les difficultés générales qui ont marqué le XIVe siècle dans le royaume de France, guerre de Cent Ans, épidémies, la Peste Noire, dégradation climatique, etc. Ces difficultés n'ont pas été sans atteindre le petit peuple des créquinois, le seul témoignage en reste peut-être les retards apportés par le curé de Créquy à régler vers 1380 les impôts ecclésiastiques, signe que l'argent rentrait mal.
Les beaux siècles du Moyen âge ont été une grande période pour l'histoire créquinoise et le témoignage en reste sur le sol même de la commune par la présence des vastes vestiges de l'ancien château fort des Créquy, prés des sources de la créquoise qui par leur étendue représentent l'une des plus importantes fortifications de la région. D'énormes fossés, déjà bien comblés, en marquent encore les limites. Le château était divisé en deux parties séparées par un fossé. La partie sud porte encore l'église et le cimetière - peut-être une ancienne chapelle seigneuriale. La partie nord est marquée par la présence d'un long retranchement, vers le plateau qui pouvait porter une muraille faite de silex. Des travaux anciens ont permis de retrouver cette muraille vers la rivière. Dans cette partie nord, devait se trouver le donjon tel qu'il apparaît sur une gravure du XVIIe siècle. Il était alors en ruines, mais on aperçoit que c'était une tour quadrangulaire. Il n'y eut jamais de fouilles me semble-t-il sur ce site de première importance sur le plan archéologique. Mais on y découvrit, il y a un siècle, des armes, peut-être des poteries. Il faut savoir que le château fut occupé au moins jusqu'à la fin du XIVe siècle par ses seigneurs et que par la suite, il devint la résidence des fermiers seigneuriaux.
Autre témoignage de cette époque prestigieuse mais d'ordre littéraire, la célèbre romance de Raoul de Créquy qui retrouvée au XVIIIe siècle a donné naissance à une abondante littérature critique, dramatique, poétique et a suscité quelques opéras. Cette romance étudiée récemment par René Debrie et Pierre Garnier est une composition poétique de 420 vers en patois picard - de la région de Créquy, fort probablement. On ne peut établir avec certitude si elle a été composée au Moyen âge - on pencherait pour une période plus tardive - mais elle est incontestable et d'inspiration médiévale et se rattache à la littérature fort productive des Croisades. Elle marque encore dans les souvenirs des Créquinois. Elle fut mise en musique vers la fin du XIXe siècle probablement par Dufourny qui est également l'auteur de la musique de la chanson de Surgeon.


A propos de la romance du Sire de Créquy
L'histoire se passe au XIIe siècle, au moment de la deuxième croisade (1146-47), entreprise par le roi Louis VII le jeune.
Ly roy Loys le Losne heyant emprinsse crois,
Voulieres il suihir tous lies brafs Frenchois...
(Le roi Louis le Jeune ayant entreprisde se croiser,
Tous les braves français voulurent le suivre...)
Parmi eux, l'on trouve le jeune Raoul de Créquy fils de Gérard , qui vient de se marier et dont la femme est enceinte. Pleurs et tristesse de l'épouse, consolée rudement par le vieux père Gérard, qui se souvient de ses jeunes années et de sa participation à la première croisade.
Au moment du départ, grands serments d'amour et de loyauté et surtout
Giou te jure mamie amour et feyaulteye.
Si le prendant sie main, sein anniau li a osteye
Soudein leyhant rompeu et mis en deux prtye
Si li en baillia eune et wardia li moitye
Chel moetiie d'anniau pour nos noches beni
Toudis giou wardereye comme feal mary
Sie geamois geou reviens deu saint perigrinaige
Giou vos raportereye de me foy cheu chier gaige
( Je te jure, mon amie, amour et fidélité
et il lui prit la main, en retira l'anneau
et soudain, l'ayant rompu, le mit en deux parties:
il lui en donna une, garda l'autre moitié.
Cette moitié d'anneau béni lors de notre mariage,
je le garderai toujours comme un mari fidèle :
si jamais je reviens du saint pèlerinage,
je rapporterai de ma fidélité cegage.)
Bénédiction du père, et c'est la longue route vers l'Orient. Au château de Créquy, la dame accouche d'un "biau fieu" qui consola sa mère, ce que bientôt apprend Raoul, qui se trouve devant Satalie (en Turquie). Mais c'est bientôt la bataille avec les mécréants. Grands coups d'épée, grandes prouesses, mais Raoul s'élance, bannière haute, le premier, dans un passage trop bien gardé par les Turcs. Beaucoup de tués parmi la troupe de Raoul. Au total sept rescapés, dont Raoul qui est fait prisonnier. On le soigne de ses graves blessures et quand il reprend connaissance, c'est pour s'apercevoir de son grand malheur. Son nouveau maître le prend en amitié, lui rend même son anneau d'or. Et l'esclavage de Raoul va durer de longues années. A Créquy, on le croit mort. Le vieux père Gérard meurt de chagrin. La dame de Créquy est en butte aux outrages d'un frère de Raoul, Baudouin. En Syrie, Raoul finit par être vendu comme esclave à un maître dur et furieux. On le presse de devenir musulman, ce qu'en bon chrétien il refuse.
A Créquy, son épouse, persécutée par son frère est pressée de se remarier, afin de trouver un protecteur. Elle acceptera avec réticence et se prépare à convoler, en secondes noces, avec le sire de Renty.
Mais en Syrie, Raoul prie Dieu, Notre-Dame, le bon Saint-Nicolas et qu'elle n'est pas sa surprise de se réveiller, un petit matin, dans un bois, tel un naufragé, ses chaînes ayant été rompues. Un bûcheron lui apprend bientôt qu'il se trouve dans le bois de Créquy "Li forêt de Créki on apeile cheis bos".
Raoul ne peut donc que remercier le ciel de ce miracle. Le bûcheron lui apprend alors la mort de son père, les intrigues de son frère et surtout le remariage de son épouse, qui est maintenant imminent.
Raoul s'empresse donc de retourner au château, qu'il trouve en liesse. Là, le garde l'empêche de rentrer. Raoul insiste pour parler à la dame, lui indiquant qu'il revient d'outre-mer. Mais il doit attendre une heure que sa dame sorte, prête à se rendre à l'église où elle va se marier.
Le pauvre chevalier l'arrête et lui indique que le sire de Créquy n'est pas mort.
Li sire de Créki adonc ne feut occhi,
Reprint lie chevalier, car, Dame, le veichi
Raviseis been chei mi, maugrey tant de misère,
Connechez vos mari qui vous avoye si kière
( Le sire de Créquy, alors, ne fut pas tué,
reprit le chevalier, car, Dame, le voici.
Regardez bien, c'est moi malgré tant de misère,
reconnaissez votre mari qui vous aimait tant.)
Mais la dame éprouve quelque réticence, et le pauvre Raoul doit lui rappeler l'histoire de l'anneau. La femme est alors conquise et reconnaît son époux. Elle tombe, pâmée, comme il se doit, dans ses bras. On lui présente son fils, et voici que deux cygnes apparaissent sous le pont et de leurs becs, ils tirent une moitié d'anneau. On récupère évidemment l'anneau, et la journée se termine dans l'allé gresse générale.
La romance de Raoul de Créquy se présente comme une histoire simple, touchante, chargée de symboles. Dans sa composition, elle est probablement du XIVe siècle, comme semble l'indiquer la référence constante au Roi de France (le XIVe siècle est en effet la période où les Créquy s'honorent de servir le roi). Les cygnes tirant l'anneau resteront un symbole héraldique attaché à la famille. Le cimier des Créquy représentait en effet deux cygnes "embecqués d'or" tirant un anneau de "rubis".


Créquy aux siècles héroïques XV - XVIIe siècles
La période qui s'étend de 1384 à 1715 fût celle des temps héroïques pour notre Haut Pays d'Artois et le village de Créquy à cause des graves conflits qui périodiquement ramenaient la guerre. La fin du Moyen âge est une ère de difficultés importantes, de graves crises de toutes sortes, mais ce bas Moyen âge se perpétue jusqu'au moins au début du XVIIIe siècle par maints de ses aspects socio-économiques, culturels, même si le caractère des crises se trouve peu a peu atténué. Le temps des grandes guerres est aussi pour le village de Créquy un temps de difficultés mis à par peut-être quelques périodes plus heureuses comme certaines décennies du XVe ou du XVIe siècle voire du début du XVIIe siècle. Une dominante : la guerre, la mortalité, la famine qui reviennent périodiquement. C'est la période où Créquy est village-frontière entre deux pays aux destinés qui s'opposent d où l'importance des conflits qui s'achèveront avec le XVIIIe siècle.
LES SEIGNEURS : DES CREQUY AUX LA TOUR D'AUVERGNE
1384, l'Artois, dont est mouvant le Comte de Saint-Pol, échoit au duc de Bourgogne. Créquy a un nouveau seigneur, Jean IV, qui va progressivement relever la fortune familiale. Il faut dire qu'outre les biens artésiens, il hérite de la seigneurie de Canaples. Un peu après 1400, il rachète à ses petits cousins les seigneuries de Sains et de Wambercourt. Ainsi donc est reconstitué un groupe seigneurial qui s'étend de Créquy à Wambercourt et qui se maintiendra durant tout l'Ancien Régime. Jean IV abandonne définitivement le château de Créquy et c'est sans doute pendant son " règne " que l'on pense à construire le château et l'église de Fressin. En attendant, il fait sa résidence du château de Sains qui connaît quelques heures de célébrités quand son seigneur accueille au début du XVe siècle, le duc de Bourgogne.
Quand il meurt en 1411, c'est lui qui est inhumé dans la chapelle de l'église de Fressin, il peut laisser à ses héritiers un héritage substantiel que l'un d'eux, Jean V, qui succède à son frère tué à Azincourt en 1415, saura faire valoir. Jean V (1415-1473) est sans doute le plus prestigieux des seigneurs de Créquy-Fressin. Il devient assez rapidement conseiller du duc de Bourgogne et mène une brillante carrière militaire, il aide à la capture de Jeanne d'Arc en 1430, et diplomatique (traite d'Arras, ambassade en Aragon, concertations avec le roi Louis XI). Il est l'un des chevaliers de la toison d'or. Sous son règne Fressin va connaître ses riches heures autour de son château. S'y développe une vie de cour parfaitement brillante ou excellent des littérateurs de tout poil comme Alexandry protégé de Louise de la Tour dame de Créquy. La bibliothèque du château s'agrémente de magnifiques manuscrits richement ornementés. Décidément Fressin vit sa plus brillante époque, s'élève au rang de bourg prenant ainsi la place de Créquy, désormais délaissé par la présence seigneuriale.
Celle-ci se fait de plus en plus lointaine à mesure que passe les siècles. Jean VI de Créquy (1473-1513) est le dernier seigneur à présider à Fressin et les guerres du XVIe siècle font éloigner définitivement les Créquy qui prennent le parti du roi de France, à cause de leurs riches possessions picardes, et ne peuvent donc rester dans le pays. Le nom même de Créquy faillit disparaître, et il faudra que le successeur de Marie de Créquy, qui meurt en 1610, la dernière héritière des Créquy en ligne directe, qui épousa Antoine de Blanchefort, le relève. Les Créquy qui s'illustreront au XVIIe siècle à la tête des troupes royales sont des Créquy-Blanchefort.
A la fin du XVIIe siècle, l'héritage passe dans la maison des la Tremoille avant de finir entre les mains des la Tour d'Auvergne au début du XVIIIe siècle familles prestigieuses certes, mais dont le destin intéresse peu le village de Créquy. La seigneurie de Créquy-Fressin élevé vers le milieu du XVIIe siècle au rang de duché-pairie n'est plus qu'un élément parmi les vastes possessions des ses détenteurs. Mais il y a belle lurette qu'elle n'occupe plus la place du coeur. Pourtant le pouvoir seigneurial continuera de s'exercer jusqu'à la révolution, par l'intermédiaire d'officiers seigneuriaux tels que les baillis, les lieutenants, les greffiers, les fermiers receveurs, choisis tout d'abord parmi les familles de petite noblesse (Pardieu, La Diennee, Sains, etc.?) puis au fur et à mesure que passent les siècles, dans les familles de la bourgeoisie rurale (les notaires de Fressin), voire sur le XVIIIe siècle finissant dans des familles paysannes (les Demagny, par exemple) .
LA MISERE DU TEMPS
L'époque est ponctuée de guerres et de catastrophes démographiques. Le milieu au XIVe siècle avait été marqué par la Peste Noire qui avait supprimé peut-être la moitié de la population artésienne. La deuxième moitié du siècle est marquée par les difficultés, comme peut-être le début du XVe siècle. On peut craindre en effet les raids militaires ces trop fameuses chevauchées anglaises de la guerre de Cent Ans. qui savent si bien tout dévaster sur leur passage. Celle de 1370 fut particulièrement funeste. Azincourt ramene la guerre dans la région, mais le XVe siècle est en gros une période de paix. La population augmente : Créquy et Torcy compte 99 feux en 1469. La fin du XVe ramene la soldatesque dans le secteur et jusqu'au milieu du XVIe siècle, la guerre revient environ tous les sept ou huit ans, aux effets particulièrement funestes, comme en 1537 et en 1544. Imaginons nos pauvres créquinois qui se réfugient dans les bois à l'approche des Français de la garnison d'Hesdin qui pillent et ravagent. Créquy est en terre espagnole. On a beau mettre à l'abri le mobilier dans la modeste église. Qu'importe, celle-ci est pillée. Mieux les Créquinois doivent acquitter une lourde rançon s'ils veulent préserver et leurs biens et leurs vies. La paix du Cateau-Cambrésis apporte la paix pour prés d'un demi-siècle. En 1569, le village compte 95 manoirs amazés, c'est-à-dire environ 400 à 450 habitants. On signale, vers cette période, une peste qui ravage les environs de Fressin sans indication de date précise, cependant.
1595-96, nouvelles inquiétudes avec la reprise de la guerre entre la France et l'Espagne et l'entreprise du roi Henri IV dans le Haut-Artois. Fruges est incendié, mais il semble que Créquy a été épargné. La paix de Créquy ramène le calme pour une quarantaine d'années : c est le temps heureux (?) des Archiducs, qui gouvernent les Pays-Bas. 1635 la France s'engage dans la guerre de Trente Ans. En 1638, le Haut-Artois redevient un champ de bataille. Siège de Renty, d'Hesdin, de Saint-Omer. Cette fois, les Créquinois, comme les Frugeois ont fui. Ils se sont réfugiés dans les villes d Aire et de Saint-Omer. Tandis que nombre d habitants de la vallée de la Créquoise s'en vont périr d épidémie dans les murs du château de Fressin, protection insuffisante contre les microbes. En 1644 les Créquinois ne sont pas encore revenus. La garnison d'Hesdin est trop menaçante comme l'explique Pierre Demagny baillis d'Habart à son seigneur qui s'étonnait de ne plus recevoir de comptes de sa seigneurie du Préhédré. Les années 40 sont de mauvaises années. 1658 apporte encore l'inquiétude, quand Fargues, un aventurier notoire, s'empare d'Hesdin, vient détruire le château de Fressin et le clocher de Sains-les-Fressin. Le traité des Pyrénées rend l'Artois et Créquy à la France, mais le village sera encore frontière pendant une vingtaine d'années, puisque Coupelle-Vieille, Embry et Rimboval qui font partie de l'Artois réservé ne rentreront dans le giron français qu'à la paix de Nimegue en 1679
Dans la seconde moitié au XVIIe siècle, il est assez difficile d'évaluer la population créquinoise peut-être entre 400 et 450 âmes, comme encore en 1725. Les registres paroissiaux nous renseignent à peine sur l'évolution démographique étant donné qu'ils ne sont tenus de façon satisfaisante que pour les naissances. A lire la courbe des naissances, on a l'impression que les années 50 sont encore des années difficiles, que par la suite la situation semble s'améliorer jusqu'à l'approche de l'an 1792. Nous ne pouvons pas connaître l'impact de la crise démographique de 1693-94 que l'on constate par ailleurs, dans d'autres villages d'Artois. Par contre l'année 1710 fut particulièrement dramatique avec un hiver long et rigoureux. Cent dix Créquinois moururent alors, peut-être le cinquième, si ce n'est le quart de la population et 1711 compte encore un grand nombre de décès. Le froid, la famine, l'épidémie, la guerre venaient une fois de plus se conjuguer. C'est cependant la dernière grande crise que connut Créquy. Au XVIIIe siècle, le comportement démographique de la population devait se modifier.

Créquy lors de la révolution
1789 - 1848 : c'est le temps des révolutions, période importante de notre vie et de notre sensibilité qui voit les sujets du Roi de France devenir au gré des événements des citoyens détenteurs d'une partie de la souveraineté nationale. Période importante également, dans la mesure où l'ancien régime touché à mort (?) par les révolutions du XVIIIe siècle s'effondre, avec encore quelques soubresauts par la suite, tant les choses, tant les révolutions ne sont pas simples. Pour Créquy, c'est le temps de l'apogée démographique. Il est désormais le plus gros village du Haut-Pays, seconde commune par le nombre des habitants, après Fruges ; un monde peut-être à part dans son environnement. Pour Créquy, c'est peut-être quant même déjà le commencement de la fin du monde.
Une révolution assez calme. Il convient de détruire tout de suite la légende. La révolution fut relativement calme à Créquy et il n'y eut pas d'ardents révolutionnaires comme en secrétèrent parfois certaines communes du canton de Fruges. Notre village a subi plus qu'il n'a suscité. Cela ne veut pas dire qu'il ne s'en réjouit pas parfois de certaines réformes. En un mot, il vit la révolution à son heure.
L'on connaît assez peu les débuts de la Révolution. En mars 89, Liévin Demagny et François Petit sont désignés comme députés de la communauté et emportent sous leurs bras un cahier de doléances qui ne nous est pas parvenu. On sait toutefois que les Créquinois récriminent contre les décimateurs - l'abbaye de Ruisseauville ; il faut dire que l'église avait besoin de réparations urgentes. Liévin Demagny, fils de Jacques-Phillipe, poursuivra sa carrière de député jusqu'à Arras et participera à l'élection des huit députés d'Artois (dont celle de Célestin Fleury, voisin de Coupelle Vieille) qui se rendront en mai à Versailles et détruiront avec beaucoup de sérieux et de détermination, l'Ancien Régime. A peine si la grande Peur suscite chez nous quelques échos, fin juillet 1789.
L'année 1790 voit se mettre en place les nouvelles institutions. Créquy est rattaché au canton de Fressin, district de Montreuil-sur-Mer, département du Pas-de-Calais. En janvier ou février, une municipalité est élue, la première, sur laquelle nous ne savons rien (Liévin Demagny a pu être maire, sans plus). On abolit les droits féodaux (se pose le problème des rachats) ; les biens de l'église de Créquy deviennent biens nationaux ; ils seront vendus en 1795 à de modestes créquinois - il faut dire qu'ils atteignent tout juste 20 mesures. En somme tout va bien. En 1791, les citoyens actifs votent pour de grands électeurs - Leleu, arpenteur sera désigné - qui éliront à leur tour l'assemblée Législative qui saura défendre les conquêtes révolutionnaires. A peine s'est-on aperçu ici qu'il y avait un problème religieux avec la Constitution Civile du Clergé que jure Grégoire Lemerchier, avec restrictions. Celui-ci durera aussi longtemps que durera le culte, jusqu'en l'an II, sans être inquiété par l'administration, mourra en 1800 au milieu de l'affection générale de ses concitoyens et gardera l'estime du clergé du XIXe siècle qui l'a peut-être considéré comme un réfractaire.
De 1792 à 1794, Créquy subit à son niveau la poussée révolutionnaire. Peu importe le changement des institutions. Les élections de 1792 désignent ici Liévin Demagny comme maire. 1793 reste une année difficile, surtout la première moitié, avec une affaire de banditisme - les frères Derollez, à la tête d'une troupe de chevaucheurs attaquent une ferme à Sains-les-Fressin et seront condamnés aux galères - avec les réquisitions continuelles en hommes et en vivres, à cause d'une guerre qui se rapproche, avec les effets d'une crise de subsistances qui entraîne un contrôle assez rigoureux des récoltes par le gouvernement révolutionnaire qui sait se montrer très efficace et coercitif.
La Terreur n'a pas d'effets funestes à Créquy et ne se manifeste que par la mise en place de quelques institutions caractéristiques, un comité de surveillance de sept membres dominé par la personnalité d'Alexandre Boudry, un bon laboureur, et un agent national, véritable représentant du pouvoir exécutif dans la commune, en les personnes de Julien Bourbiez, un maréchal ferrant et de Jean-Baptiste Merlen élu le 10 pluviose an II. Le Pouvoir local descend peut-être jusqu'aux classes moyennes de la société créquinoise, mais ne peut guère y rester, même au temps de la Terreur.
Cette période est marquée aussi par l'intensification de l'effort de guerre et la victoire et surtout par des mesures anti-religieuses assez spectaculaires.
La chute de Robespierre qui intervient fin juillet 1794 marque la fin de la Terreur, mais disons-le tout de suite, le village n'a jamais suscité de problèmes à l'administration et n'en suscitera jamais jusqu'à la fin de la révolution et même au-delà. Faut-il y voir la l'indice d'un certain conformisme politico-administratif qui saura d'ailleurs se perpétuer ?
Quoi qu'on puisse en croire, la règle des Thermidoriens n'annonce pas un temps de facilités pour le village de Créquy. La crise économique sévit durement et ses effets les plus manifestes se caractérisent par la prolifération des vols de bois dont se plaignent à l'administration les propriétaires (Demagny Jacques-Philippe et autres qui ont pu réaliser auparavant et encore jusqu'en 1795 de substantiels profits en alimentant et l'armée et la marine). Pendant l'hiver 1794, on est obligé de recourir à la taxation des céréales, la municipalité de Créquy a des difficultés de trésorerie et les Créquinois doivent encore satisfaire à quelques réquisitions. Janvier 1795, une centaine de Créquinois recevront des secours au titre de la bienveillance nationale. Entre-temps Alexandre Demagny a remplacé Merlen en tant qu'agent national de la commune.
Le directoire (1795-1799) est une période assez curieuse de notre histoire, tout en contrastes, avec une république qui cherche son équilibre. La guerre continue mais s'éloigne et vers la fin, on établit la conscription. Le premier conseil de révision nous permet de dresser un état de santé de la jeunesse créquinoise. Elle ne paraît guère brillante, et ce n'est par sûr que ce ne soit pas la réalité. La question religieuse connaît des fortunes diverses au gré des circonstances politiques. Le culte est parfois toléré, parfois réprimé. Les réfractaires s'organisent et les Créquinois bénéficient de leurs services . Créquy n'est plus municipalité puisque l'on a institué les municipalités de cantons. Jacques-Philippe Demagny, Jean-François Bracquart représentent alors les intérêts de la commune à l'assemblé de Fressin. Le village est peut-être divisé sur le plan politique. Jacques-Philippe Demagny représenterait plutôt la tendance modérée ; c'est un notable. Alexandre Boudry, un autre notable, est plus franchement républicain, ainsi que les anciens membres du comité de surveillance. On constate ces faits quand on consulte les procès verbaux d'élections de la période.
En 1799, on procède à la vente de l'église, rachetée par Solon d'Arras à l'exception du clocher, mais une pétition est envoyée à l'administration signée par les principaux notables du village, toutes tendances confondues. L'église ne sera donc pas détruite.
Le coup d'Etat inaugure une ère nouvelle. Les réformes consulaires (1800 - 1802) sont importantes. Créquy redevient municipalité - Denis Demagny, frère de Jacques-Philippe (on ne sort pas de la famille) devient maire. La commune fait partie désormais du canton de Fruges et de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer. Le concordat rétablit la paroisse où est nommé Tilliette, ancien vicaire de Créquy et qui avait été réfractaire.

L'apogée du village (1789 - 1848)
La population créquinoise continue d'augmenter. 964 habitants en 1790, 1479 habitants en 1846, temps du maximum démographique du village. Cette situation peut paraître étonnante quand on sait que c'est vers 1830 que la plupart des communes purement rurales du Haut-Pays ont amorcé leur déclin et dans l'environnement immédiat de Crequy, c'est bien avant, vers la fin du Premier Empire. Créquy reste donc un point de croissance démographique dans un milieu en voie de dépeuplement. C'est évidemment original.
Les comportements démographiques en sont certes la cause. La natalité reste à un haut niveau. Elle atteint encore des taux de 35 pour 1000 jusqu'en 1835, c'est-à-dire que le mouvement de baisse enregistré à la fin du XVIIIe semble avoir été enrayé, un temps. La mortalité est toujours en dents de scie, avec quelques années mauvaises, mais elle descend parfois en dessous de 20 pour 1000 (période 1825 - 1830) et ne s'élève guère au-dessus de 26 pour 1000. La progression démographique peut donc s'expliquer, jusqu'en 1835, par un mouvement naturel, un excédent de naissances largement positif, et mieux, à l'encontre de bien d'autres communes, Créquy garde ses habitants. N'y sévit pas encore l'exode rural. La situation change cependant à partir de 1835 (baisse de la natalité qui pour la première fois descend en dessous de 30 pour 1000, début de l'exode). La crise du milieu du siècle (1846-1851) allait provoquer de nombreux départs. Mais l'essentiel est de constater que jusque dans les années 40, Créquy est parvenu à garder sa population, en dépit d'un territoire agricole exigu (0.9 ha par habitant en 1846 de surface agricole contre 1.2 ha en moyenne sur le canton de Fruges).
Economiquement parlant, c'est l'agriculture qui joue un rôle prédominant (39% de la population active), contre 28% à l'artisanat, 27% au commerce, 6% aux services divers (fonctionnaires communaux, musiciens, clergé, etc.?). En somme, une population assez diversifiée dans ses occupations.
L'agriculture reste routinière, mais on peut mieux la suivre (enfin) à travers les premières statistiques. C'est toujours la culture qui domine, cultures des céréales (blé, méteil, seigle, avoine). L'orge se développe. Les pommes de terres apparaissent (une quarantaine d'hectares en 1836). L'élevage se développe ; en particulier celui des bovins (plus de 60% entre 1808 et 1841) et des ovins (70%). Créquy reste le pays des moutons que satisfait la vaine pâture. Il faut signaler que les rendements restent faibles, à peine 10 quintaux à l'hectare en 1841. Cette période suffit donc à peine à nourrir une population créquinoise en surnombre, dans les meilleurs années.
Il a donc fallu développer les solutions entrevues au XVIIIe siècle, à savoir le colportage et l'artisanat du bois. La fabrication de louches, balais se poursuit bon train. Une trentaine de familles s'y consacrent. Innovation riche d'avenir, mais encore peu développé avant les années 40 : le tour qui permettra bientôt de développer la production d'objets en bois en y incluant la fabrication des robinets. Une foule donc de plus en plus importante de colporteurs (75 en 1846) vit à Créquy ou plutôt s'en va vivre ailleurs dès le printemps venu, essayant de vendre les productions artisanales créquinoises, à coté de bien d'autres objets et en particuliers des pipes de Fruges.
Cette oeuvre peut compter sur le concours de la population et la sollicitude des notables. Car ce sont eux qui jouent le rôle prédominant, qui assurent la liaison entre Créquinois et la nation et l'administration. Leur action s'exerce à tous les niveaux de la vie communale et paroissiale. Ils dominent la société créquinoise. Il s'agit cependant d'un groupe difficile à cerner. La hiérarchie des notables est certes fondée sur la fortune, mais déjà apparaissent les talents, intellectuels, administratifs, parfois artisanaux. Il est donc des niveaux dans le groupe des notables, suivant les responsabilités. Ici pas de grands notables qui jouent un rôle dans la vie nationale. Peut-être le propriétaire du bois de Créquy bien étranger à la communauté peut-il encore animer, en certains moments de l'année, la vie créquinoise par les chasses qu'il organise. Certains fermiers sont redevables d'unepart du sol créquinois à des notables urbains tout comme aux marquis d'humeroeuille qui ont récupéré le bois Habart. Influences extérieures non décisives.
Créquy a cependant ses notables des collèges électoraux, Alexandre Demagny, Jean-François Leleu sous l'Empire, un cercle plus large à la fin de la monarchie de Juillet, six en 1846, dont Jean-Baptiste Merlen, le plus riche apparemment, trois Boudry et Jacques Dufourny, propriétaire du château. Ceux-ci désignent députés et conseillers généraux et il est assez difficile de connaître leurs opinions.
Mais il est des notables d'influence locale, ceux que l'on vient de citer certes, mais aussi tous ceux qui peuvent disposer de quelque fortune, et déjà les talents parmi lesquels on remarque les Bracquart, descendant d'instituteurs, et les maréchaux-ferrants au contact avec toutes les couches de la population créquinoise. Ce sont ces notables, cercle assez élargi, qui président aux destinées de la commune, qui figurent dans le conseil municipal et encore dans le conseil de fabrique. Parmi eux, l'administration, depuis le Consulat, désigne les maires et les adjoints.
Le premier maire de Créquy du XIXe siècle fut le marchand de bois Denis Demagny, oncle de Liévin Demagny. Il durera jusqu'en 1820. A cette époque, fut désigné Louis Brebion. Je n'ai pu savoir s'il s'agissait d'une décision politique suite au durcissement du régime issu de la Restauration. A cette époque un Boudry avait été pressenti, qui refusa, sa famille n'étant pas d'accord. En 1827, François Boudry le remplacera, mais la monarchie de Juillet désignera en 1831 Auguste Demagny, fils de Denis, qui durera jusqu'en 1858. A quelques exceptions prés, les maires et adjoints (Masse, Boudry, Alexandre Bracquart) appartenaient aux familles qui avaient joué un rôle sous la révolution. Les conseils municipaux désignés jusqu'en 1831, élus ensuite par le dixième de la population, étaient principalement ouverts aux cultivateurs et aux propriétaires (Demagny, Flory, Bracquart, Bally, Casiez, Courtin, etc.?). La réforme électorale de 1831 l'ouvrit peut-être aux maréchaux, Henri Demagny puis Augustin Desombre. Signalons que les notables étaient représentés dans une autre institution qui regroupait nombre de Créquinois, la Garde Nationale, où ils tenaient généralement les fonctions électives d'officier (Dufourny, capitaine en 1843). Quelques procès-verbaux d'élections laissent apparaître certains clivages au sein de cette société.